vendredi, décembre 31, 2010

COTE D’IVOIRE

LE BAROUD D’HONNEUR DE LAURENT GBAGBO

Rien de nouveau sous l’implacable soleil d’Abidjan ! La démocratie n’y fleurit toujours pas au regard acerbe de certains. Cependant que la dictature, elle, a bon dos dans les capitales à l’entour. Hélas pour la "vieille Europe" dont la vue baisse et pour ses trop fréquents moments d’amnésie. Or donc on ne peut faire l’économie, dans la crise ivoirienne, de convoquer l’Histoire ; même si pour sa lecture d’aucuns s’y refusent obstinément. Les précédents les moins lointains- ce début du siècle suffit amplement à l’édification des mémoires qui supportent mal les datations au carbone 14- peuvent constituer des référents. Ne serait-ce que pour comprendre ; sans justifier. Par honnêteté. On peut voir que la trame de l’Histoire immédiate, ici et ailleurs, est émaillée de séquences productrices d’instabilité ; et que la quiétude des populations civiles en a été souvent troublée. On peut se rappeler que ces "parenthèses", en tous temps, sont d’ordinaire vite refermées et aussitôt oubliées. Mais l’on doit savoir que "les fauteurs de trouble" ne sont pas toujours ceux que l’on croit, loin s’en faut. Les sources de nuisance en Côte d’Ivoire déambulent dans les rues et portent différents chapeaux. Ceux des hommes politiques trop ambitieux. Et ceux des "gardiens de la paix", ces pauvres bougres mandatés pour concrétiser sur le terrain, et au péril de leur vie, les desideratas de la France sur son pré-carré... En d’autres termes la communauté internationale, lorsqu’elle s’y sent vraiment obligée, en vient à contester la légitimité de certains hommes politiques. Mais jamais tous, pas les mêmes, pas pour les mêmes raisons, et dans des situations différentes. De ces conditions voici quelques : une conjoncture qui favorise la réprobation (quand tous s’y mettent), des intérêts occultes mis en œuvre (le meilleur partenaire économique en certains cas, ou autre chose), sinon qu’un sentiment des plus triviaux, la seule haine viscérale à l’égard d’un homme qui incarne une rupture du statu quo dans les relations que la Côte d’Ivoire entretient avec les autres pays du monde. Tous ces faits conjugués ont sans doute joué contre Laurent Gbagbo pour qu’il soit présenté par une presse occidentale dangereusement unanime comme le pire malfaiteur que le monde n’a jamais connu !
Cela dit- aussi afin de ménager les mémoires qui flanchent- un regard sur l’actualité. Aux antipodes de l’Afrique, Le Belarus. Ce qui s’y déroule maintenant est assez fâcheux pour les thèses des "faux justiciers" de la communauté internationale, ces prétendus redresseurs de torts pétris de partialité, eux qui entendent sévir sur les uns sans pouvoir- ou vouloir- appliquer la même justice aux autres…
Le Belarus donc. Dans ce petit pays de l’Europe de l’Est, la quasi-totalité des candidats à l’élection présidentielle qui vient de s’achever sont incarcérés après qu’ils aient contesté la validité du scrutin. Poursuivies pour « trouble massifs à l'ordre public », ces individus encourent jusqu’à quinze ans de prison ; ainsi que l’interdiction de leurs partis politiques. Le président Alexandre Grigorievitch Loukachenko, ce « dernier dictateur d'Europe » notoirement reconnu comme tel par tous, évoque les lois locales pour justifier le fait qu’il reste le maitre incontesté de Minsk depuis seize ans ! On ne sait si l’opposition participa jadis à l’érection de cette Constitution qui marginalise aujourd’hui son action et rend caduques ses revendications post-scriptum… Les Occidentaux n’en feront pas grand cas puisque la Biélorussie est sous influence de la Russie, ce puissant pays peu regardant lui-même sur les droits de l’homme chez lui ! Alors à défaut d’aller jouer dans cette dangereuse cour des grands que sont Poutine et Medvedev, il faut modestement revenir en Afrique. Précisément dans sa zone subsaharienne le "parent pauvre" de la communauté des nations du monde.

Sombre répertoire.
Qu’y observe-t-on ? Que de nombreux dirigeants s’y sont adonné à des simulacres d’élections sans que quiconque n’en soit bouleversé, peu s’en faut. Le Rwandais Kagamé, après s’être dare-dare taillé une constitution sur mesure, récidive ses staliniens scores (plus de 80%). Rien, sinon la mort, ne pourra jamais désormais lui ravir ce pouvoir dont il se récompense. Surtout que la communauté internationale le considère comme un être fragile qu’il ne faut surtout pas contrarier ; un esprit sinistré, "traumatisé par le génocide des Tutsi". Une victime dont il convient de ménager la susceptibilité. Tant pis pour l’opposante Hutu Victoire Ingabire qui paie pour "négationnisme" sa volonté de changement de leadership à la tête de ce pays qui n’est plus que celui de Tutsi. Puisque les Hutu ne se reconnaissent plus que dans le pouvoir tutsi…
Le Burkinabè Blaise Compaoré, qui n’en était pas à sa première outrecuidance, vient de s’illustrer par la même dextérité dans la manipulation de la Constitution. Il caracole aussi maintenant en toute liberté dans des pourcentages qui défient le bon sens et l’esprit de la démocratie. Mais bon, Blaise Compaoré est un "grand ami" de la France qui lui pardonne tout. De plus il a opportunément su s’improviser comme un "médiateur" très sollicité dans la résolution des conflits de sa sous-région. De se poser en incontournable l’autorise depuis à confisquer le pouvoir pour l’éternité. Il peut désormais se prévaloir d’un curriculum vitae équivalent ou sinon meilleur, à l’échelle du continent, à celui de l’ancien président américain Jimmy Carter qui offre les mêmes offices. Compaoré bénéficie aujourd’hui d’une respectabilité entachée du sang de ses amis et de ses ennemis.
Il serait peut-être inutile de s’attarder sur ces "enfants de chœur" que sont Paul Biya, Robert Mugabe, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, Sassou Nguesso, ou même seulement des velléités dynastiques d’Abdoulaye Wade. Quant à l’héritier du trône du Gabon Ali Bongo, nul ne devrait voir dans son récent adoubement par la Franc-maçonnerie un salutaire soutien de ses pairs "Grands prêtres" du continent et d’ailleurs dans le monde. Ou que d’appartenir à cette loge occulte, à la suite de son père Omar Bongo, n’offre aucun avantage politique. Mais peut-être verse-t-on là aussi dans l’anecdote et la fabulation. Parvenu à ce point dans la cécité collective et le déni au bon sens il y a certainement péril dans la comparaison si on prétend que Ben Ali le Tunisien et le raïs Hosni Moubarak d’Egypte ne sont vraiment pas ce qu’on pourrait appeler des démocrates modèles. Mais là-bas, au Nord de l’Afrique, leurs populations respectives pourraient démentir ce postulat. Puisqu’elles détiennent la liberté de parole et choisissent aussi librement la pérennité de leurs gouvernants. La Ligue arabe, ce machin d'ordinaire inutile aux Arabes, est manifestement mieux que la CDEAO. Il faut cependant reconnaitre que pour toutes ces… exceptions, la communauté internationale a crié, décrié, mais du bout des lèvres, toujours en marchant sur des œufs puisque la souveraineté des lois nationales était évoquée. Alors en signe de fermeté il y eut d’inaudibles protestations, des "vives préoccupations", des "appels à la retenue et au respect des droits humains"…bref, toute la panoplie des formules lapidaires destinée à inscrire sa voix au chapitre. En définitive et "après examen" il ne s’est toujours agi que de légères entorses dont on a pu s’accommoder tant les populations étaient heureuses, des peccadilles sans aucun rapport avec l’innommable commission de Laurent Gbagbo ! Or donc pour susciter une telle levée de boucliers, sans précédent en Afrique, et cristalliser autour de lui une réprobation aussi unanime, l’homme a du franchir le rubicond. Le monde, et ce depuis ce mois de décembre 2010, ne tolère plus ce genre d’indélicatesse à la loi d’airain de la communauté internationale. On voit désormais les autres dirigeants africains -puisqu’il ne s’agit que d’eux- participer dévotement à la curée. Trop heureux que l’attention fut détournée de leurs peu glorieux antécédents il jurent qu’on ne les y prendra plus. Qu’ils savent désormais qui est le maître. Ils trahissent sans vergogne et se repentent pour bénéficier de la prescription ! Car lorsque la poussière retombera et que le monde se sera désintéressé du sort des Ivoiriens il sera toujours temps de reprendre ses pratiques d’antan. Partant, se faire oublier c’est conspuer "le vilain Gbagbo". Mieux, le faire chasser du pouvoir comporte des avantages dans l’ordre du renouveau. C’est désormais pour ces tyrans bien plus qu’un leitmotiv : un objectif quasi vital et une fin en soi. Pas de Gbagbo, pas de comparaison !

Pour faire un exemple
On s’attendait somme toute à ce que Sarkozy veuille à tout prix se débarrasser de Laurent Gbagbo, cet ennemi juré qui l’a humilié à maintes reprises. Le président français, qui exerça le métier de boucher dans une autre vie, est reconnu pour son maniement des crocs entre autres inclinaison de torture. Il applique aujourd’hui à Gbagbo ces mêmes méthodes expéditives qu’il réserve d’ordinaire à ceux pour qui il éprouve une haine viscérale. Aujourd’hui pour faire un exemple le président de la France s’est mis au diapason de la pire racaille africaine. Ceci sans verser dans l’amalgame, beaucoup- pardon, peu- de présidents du continent méritent la légitimité reçue du peuple. Quant à Sarkozy, c’est un opportuniste ainsi que nul n’en doute plus. Derrière la Paris les autres puissants de ce monde, pudiquement appelés alliés, se rangent aveuglement alors même que pour les États-Unis ou…disons l’Australie, Gbagbo ou Ouattara c’est…"noir bonnet et bonnet noir" ! C’est de notoriété publique qu’un pacte diplomatique prévaut entre les Occidentaux à l’effet que, dans la commission du crime parfait, le mobile soit assumé par tous. C’est là une directive en vigueur depuis toujours et renforcée après le 11 septembre 2001. Elle a valeur d’échange dans le soutien des uns aux autres. La France en particulier verse un lourd tribut à l’effort de guerre en Afghanistan. Les Américains perdraient à ne pas s’en souvenir, surtout que ce qu’il leur est exigé en retour est bénin au regard de ce que l’armée française consent en sacrifices humain et matériel pour le triomphe du "monde libre" face à "obscurantisme islamique". Tout cela est compréhensible et participe de la Realpolitik. Mais on ne voit toujours pas en quoi l’intérêt de la Côte d’ivoire se confondrait avec celui de l’Afghanistan. La population de l’une ignore même jusqu’à l’existence de l’autre. Et vice-versa. Même le plus "ouattariste" des Ivoiriens n’ignore pas, qu’à quelque exception près, la CDEAO et l’UA est un repaire de hors-la-loi dont la légitimité était, avant la Côte d’Ivoire, contestée par cette même communauté internationale. L’acharnement en moins. Or donc ces régimes sont portés par des dictateurs sanguinaires, des malfaiteurs notoires, des seigneurs de guerre, pour certains des voleurs contre lesquels une instruction judiciaire est ouverte- en France justement- pour recel de biens mal acquis ! Et pourtant sur le plan interne aucun parmi ces potentats n’a jamais finalement été inquiété par les objurgations de façade des Occidentaux. Dans l’hémisphère nord, féru d’éthique, des individus revêtus d’une telle notoriété ne sauraient être convoqués pour juger de quoi que ce fut ; ni même pour départager une rixe impliquant des enfants !
Pour avancer dans la réflexion il faut aller au-delà du simple homme qu’est Gbagbo afin de démonter les ressorts d’une logique qui s’obstine à pécher par l’absurde. Question : Les Iraniens sont-ils si peu aimés du monde qu’ils sont obligés de toujours subir l’implacable joug de Mahmoud Ahmadinejad ? À quand l’intervention des "armées occidentales restauratrices de la démocratie" pour délivrer les Perses de l’étau des mollahs ? A contrario, les Ivoiriens devraient se réjouir que leur sort préoccupât à ce point le monde entier que l’on envisage de leur infliger mort et désolation afin qu’ils recouvrèrent la salvatrice démocratie. Il n’est pire preuve d’amour que le mépris paternaliste. Passe-droit ou impuissance à l’égard du dictateur de Téhéran, il demeure que "l’an zéro" de la démocratie vient d’être décrété par les "maitres du temps", la communauté internationale, ce Deus ex machina qui protège malgré eux ces "enfants attardés" que sont les Africains…

Une presse qui parle mal
Cinquante ans en Afrique c’est déjà l’âge de la sagesse, cette vertu qui surplombe la seule intelligence. Age canonique, puisque c’est l’Afrique. De Jeune Afrique l’intelligent on a eu, en cette affaire, plus d’intelligence que de sagesse. Pour cinquante ans de combats menés au bénéfice de diverses causes en africaines, l’hebdomadaire mythique porte sur l’après élection ivoirienne le même regard qui découvrit avec George W. Bush des armes de destruction massive en Irak. On mesure à peine encore aujourd’hui les "dommages collatéraux" que telle attestation a pu causer. Lors il s’agit de l’Afrique les médias internationaux ne savent pas toujours de quoi ils parlent ; à l’instar de leurs gouvernants. Voilà une excuse dont ne peut se prévaloir le journal de Béchir Ben Yamed (BBY). Il fut des temps où ce héraut de la presse francophone continentale montait aux barricades contre toute velléité de néocolonialisme. Il n’entretenait guère alors, hélas comme maintenant, de la répulsion à dénoncer cette atteinte à l’autodétermination des peuples, un des principes fondateurs de l’ONU. Pas seulement : aucune dictature ne trouvait jamais grâce à ses yeux. Point de ligne Maginot, ce suspect arrêt spatio-temporel, "avant et après", que vient d’introduire insidieusement la France dans l’évaluation de la gouvernance dans le monde. Sauf à dire « qu’il faut bien commencer quelque par » BBY, qui a voué sans nuances Laurent Gbagbo aux gémonies, doit encore expliquer à ses millions de lecteurs que "le crime " de ce dernier est innommable et dépasse en horreur tout ce que le monde a connu. Ce qui justifierait que l’on fasse table-rase du passé pour ne faire débuter l’Histoire qu’avec ce "dangereux despote". … ». Dans ce cas que quelqu’un, quelque part, ait l’honnêteté de poser ce nouveau paradigme. Afin que l’affaire soit entendue une fois pour toute. Et pour tous. Lourde mission s’il en est. Les vieux lecteurs de Jeune Afrique se souviennent du rédacteur en chef, décédé depuis, Sennen Andriamirado. Blaise Compaoré, qui assassina son compagnon de lutte Thomas Sankara, ne serait peut-être jamais devenu ce dictateur invétéré (dont l’Afrique a curieusement besoin, à en croire ce plaisantin de Sarkozy), si la plume acerbe de Sennen ne s’était inopinément tue. Ce n’est surement pas cet autre rédacteur en chef qu’est François Soudan pour dire quoique ce fût, en mal ou en bien, de Denis Sassou Nguesso. Pour cette raison toute humaine que le journaliste a pris femme au pays que dirige d’une main de fer ce colonel putschiste. Ce que femme veut… Au vrai en cette drôle d’affaire comme dans d’autres, la jeune génération de journalistes de Jeune Afrique- Marwane Ben Yamed la représente bien- manipule une plume plus acerbe que celle de la vieille garde. Il demeure que BBY devrait éclairer ses trop nombreux lecteurs africains sur ce curieux principe- un nouvel avatar- de "deux poids, deux mesures" qu’il supporte chez eux ; mais qu’il dénonce pourtant avec véhémence lors il s’agit du Proche-Orient…Qu’il dise seulement une parole, ce cher M. BBY, et de nombreux Africains aborderont cette nouvelle année 2011 un peu plus sachant.
Fatigué BBY ? Son propos le laisse croire. Tant il y transpire une lassitude troublante de sélectivité. Après cinquante ans de "bons et loyaux services" pour l’Afrique voilà qui pourrait être compromettant. Voire quelque peu décevant. Bonne St-Sylvestre tout de même !
EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ

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