jeudi, février 17, 2011

COUR PENALE INTERNATIONALE: POUR QUI ROULE LE PROCUREUR OCAMPO ?

L’argentin Luis Moreno-Ocampo est l’un des hommes les plus honnis de la planète. Le sentiment d’inimitié à son égard est partagé, inégalement certes, un peu partout dans le monde. Surtout en Afrique où cet irascible justicier sévit trop souvent au gout des hommes politiques. Et même des populations qui lui reprochent de ne s’attaquer qu’aux plus faibles. A Kinshasa (RDC) beaucoup le pendraient volontiers. Les nombreux partisans de Jean-Pierre Bemba cherchent inlassablement le lien occulte entre Joseph Kabila et Ocampo afin d’accuser ce dernier de partialité. Parce que le procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) semble s’acharner sur l’ancien vice-président de la RDC, adversaire politique de l’actuel président congolais. Inutile de rappeler qu’Ocampo fut "l’instigateur" du mandat d’arrêt international qui fait croupir Bemba dans les geôles de la CPI à La Haye. Loin de se contenter de cette "grosse prise" à son tableau de… pêche, le procureur a depuis déployé un trésor de subterfuges pour garder le "poisson" dans les filets. Il s’opposa à la mise en liberté provisoire de J.P Bemba au motif que celui-ci disposait des moyens financiers et des appuis politiques suffisant pour se dérober à son procès. Même sans préjuger des intentions véritables du Congolais l’argument n’était pas sans valeur. Si Bemba décidait de se réfugier dans son fief de la province de l’Équateur nul ne serait en mesure de l’y déloger. D’autant qu’il jouit du soutien d’une frange non négligeable de la population congolaise ; jusqu’au sein même de Kinshasa la capitale.

Pour resserrer la nasse, afin de s’assurer que jamais Jean-Pierre Bemba ne pourra recouvrer la liberté, Luis Moreno-Ocampo vient d’introduire une nouveauté en droit pénal international. Expressément pour Bemba. Il ne s’agit de rien de moins que du principe de la responsabilité directe. En d’autres termes : pour le procureur Ocampo le "chef" doit être directement tenu responsable des actions de ses hommes
C’est-à-dire que Bemba ne peut plus se dédouaner des exactions commises par ses troupes en Centrafrique en évoquant qu’il ne les avait pas ordonnées ; ou moins encore qu’il y avait participé. Or donc c’était là précisément le système de défense privilégié par ses avocats. En apparence seulement, le nouveau principe d’Ocampo (bientôt le principe Bemba) offre un côté improvisé, à ce point que d’aucuns y trouveront une preuve manifeste d’acharnement sur l’ancien seigneur de guerre congolais. Pour autant il n’en constitue pas moins un sérieux revers pour Jean-Pierre Bemba. Une mise en échec des prétentions de ses mandants. Ses avocats devront désormais user d’inventivité pour sortit leur client de ce véritable traquenard ourdi par l’esprit…vicieux du procureur Luis Moreno-Ocampo !

A qui profite "le crime" ?
Les conséquences de ce "réajustement juridique" sont loin d’être négligeables en RDC. On ne saurait ignorer le fait que Joseph Kabila, le président congolais, bénéficie directement de cette mise à l’écart de son rival le plus sérieux à la magistrature suprême. La relation de cause à effet est d’ores et déjà établie par les partisans de Bemba. Ils ne doutent désormais plus que "l’affaire" est politique et voient au-delà du procureur du TPI une machination- une instrumentalisation dudit tribunal- de l’Occident au profit de son "candidat", Joseph Kabila. La théorie du complot fait aisément son lit lorsqu’on s’aide des gens tels Ocampo! Kabila aura beau nier toute collusion avec le procureur du TPI que nul ne le croira. Pour beaucoup en RDC, et dans la diaspora congolaise, la chose est entendue ; puisque les apparences, hélas, sont contre le président congolais !

L’Ivoirien Alassane Ouattara doit se faire, aujourd’hui, la même réflexion. Le seul fait qu’Ocampo ait prit sa cause en sympathie le rend suspect aux yeux des Africains. Il sait maintenant que l’amitié du procureur de la CPI est plus qu’envahissante ; elle est tout simplement embarrassante. Avec de tels amis on n’a pas besoin d’ennemis. Car les récentes et intempestives "sorties" d’Ocampo à propos de la Côte d’Ivoire coïncident bizarrement avec les positions de l’Occident ! Ses prétentions déclarées de vouloir poursuivre le camp Gbagbo devant la CPI fait hérisser le poil des tous ceux qui s’y entendent quelque peu en matière de justice internationale. Pour dire le vrai, les positions d’Ocampo agacent et ont fini par courroucer ses pairs avocats. Au point que certains d’entre eux(1) ont décidé de dresser un véritable réquisitoire sur les agissements du procureur du TPI (http://news.abidjan.net/h/391078.html). C’est peu dire que les prises de position de Me Luis Moreno-Ocampo contribuent à décrédibiliser fortement l’institution pénale de La Haye. Il donne à penser qu’il choisit ses "cibles" politiquement ; en fonction de ce que veut l’Occident. Autrement- dans toute l’impartialité qui invite l’adhésion à un système de justice- Paul Kagamé le Rwandais n’aurait-il pas précédé Jean-Pierre Bemba à La Haye ? En Côte d’Ivoire même : Guillaume Soro et Dramane Alassane Ouattara, à la tête des "Forces nouvelles", n’ont-ils pas commis des exactions plus…désastreuses en nombre et en conséquences humaines que ce que l’on peut reprocher à Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ?

Manifestement, de la crise post-électorale ivoirienne la CPI ne sortira guère grandie dans l’opinion publique africaine. Surtout que déjà nombre de ses contempteurs sur le continent et ailleurs dans le monde suspectaient l’impartialité des causes poursuivies par le procureur Luis Moreno-Ocampo. Il aura suffit de bien peu pour que la suspicion se transformât en certitude. En cause "le principe Bemba" et le cafouillage juridico-politique en Côte d’Ivoire. Pour Joseph Kabila les gains, en dépit de tout, sont certains. Il en va autrement pour Alassane Ouattara qui semble condamné à subir un "compagnonnage" dont, avoir su, il se serait bien passé. Quant au procureur Ocampo les élites politiques africaines se défieront désormais de ses sorties. En bien ou en mal. Et la CPI avec lui. Malheureusement.
EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ

Cet article est disponible sur Afrique actu: http://afriqueactu.net/23996/afrique/tribunal-penal-internationalpour-qui-roule-le-procureur-ocampo

(1) Lire l’intégrale du réquisitoire par Me Josette KadjiAvocat au Barreau du Cameroun et près le TPIR et la CPIMe Jean de Dieu Momo, Avocat au Barreau du Cameroun et près le TPIR, sous le lien suivant :http://news.abidjan.net/h/391078.html

lundi, février 14, 2011

RDC-CONGO: UN TOUR PEUT EN CACHER UN AUTRE

L’espace politique de la République démocratique du Congo(RDC) a été pris de cour. Mais aussi d’un malaise qui a laissé l’opposition groggy. Joseph Kabila, fort de sa majorité présidentielle au Parlement, a réussi à faire voter une loi instituant l’élection présidentielle à un seul tour du scrutin!
EMERY UHIND-GINGALA GINGANJ


Sans aucun doute, l’onde de choc des soubresauts ivoiriens a été ressentie à travers toute l’Afrique subsaharienne. À quelque exception près, presque tous les présidents de cette région ont été mal élus… La surprise passée, et après avoir poussé un soupir de soulagement, l’heure est au ressaisissement. Tous savent qu’ils ont opportunément échappé au "nouvel ordre" démocratique inauguré par l’Occident en Afrique…Mais il ne viendrait à personne de se demander pourquoi l’Afrique ; et non point le Myanmar par exemple, où sévit l’une des dictatures les plus rebutantes de la planète. Nul n’interroge la légitimité de ce flagrant déni de la souveraineté nationale. Le temps, il est vrai, est compté, il n’est pas à l’idéologie. Car c’est le sauve-qui-peut, il y a désormais péril en la demeure. Il faut parer au plus pressé, se réajuster face à ce qui semble préfigurer le nouveau statu quo. Or donc les choses se corsent d’autant que nul n’avait vu venir ce nouveau diktat de la communauté internationale, ce paternalisme que l’on cru à jamais révolu. Il ne s’agit plus désormais de s’assurer la présidence à la faveur des élections tronquées. Sauf pour les amateurs. Se maintenir au pouvoir est plus que jamais affaire d’inventivité. Et tous s’y emploient, même s’il est de bon ton, pendant ces temps incertains, de diaboliser le seul Laurent Gbagbo. Car les pairs du président ivoirien le considèrent désormais comme le pire empêcheur-de-tricher-en-rond qui soit. Gbagbo le pestiféré, une réelle nuisance pour "les affaires", mauvaise conscience des dictateurs qui veulent s’ignorer.

Frondeur invétéré et reconnu pour tel, l’Ivoirien aurait tout de même du, "à toutes fins utiles", obtempérer aux injonctions de l’Occident. Sinon pour lui- puisque sa cause était perdue- du moins par solidarité pour les intérêts de ses amis d’antan. Or donc en jetant le pavé dans le marigot il aura réussi à éclabousser tout le monde. Puisque les projecteurs de la communauté internationale sont désormais importunément braqués sur tous. « Maudit soit celui par qui vient le malheur… ». Depuis le cercle des amis de Laurent Gbagbo s’est considérablement clairsemé. Les potentats africains, il le sait aujourd’hui, ont la rancune tenace.

Qu’à cela ne tienne : l’exemple ivoirien, contrairement à ce que l’on dit de l’Histoire, a eu cette vertu d’éduquer les présidents de l’Afrique subsaharienne. Dictateurs ou pas, tous sont maintenant instruits de ce qu’il faut éviter afin de ne pas tomber dans le travers qui a conduit aux actuelles turpitudes à Abidjan : un scrutin présidentiel à deux tours ! La solution, c’est donc une élection à un seul tour ! Le fait n’est pas inusité en Afrique, il a permis à Ali Bongo d’être "légalement" élu après qu’il eut succédé à son père dans la controverse. Lors même les tracas de Bongo fils n’en sont pas pour autant terminés, loin s’en faut, au moins ils ne se rapportent pas au mode de scrutin qui l’a porté au pouvoir.

Un tour de passe-passe ?
Joseph Kabila, qui n’a pas non plus repris le fauteuil paternel pour rien, a vite saisi les avantages d’un tel procès. En Afrique le président sortant est toujours celui qui fait le meilleur score au premier tour. Il bénéficie opportunément de la division du vote de l’opposition, car il y a généralement un candidat à la présidence pour chaque parti. Dans le camp adverse l’ambition personnelle l’emporte presque invariablement sur le bon sens. Or donc une simple opération arithmétique suffirait à convaincre l’opposition de s’unir derrière un candidat unique pour avoir quelque chance de l’emporter. Sinon que de rivaliser sans tomber dans le ridicule des scores avoisinant un pourcentage nul! De plus le parti présidentiel est d’ordinaire la structure la plus rodée ; sans compter que le président sortant dispose encore à sa guise du concours de tout l’appareil étatique.

À ce point nul besoin de tricher. C’est au second tour que s’amorcent les tripatouillages. Car le danger pour le camp présidentiel devient réel. Toutes sortes d’occurrences sont susceptibles de lui faire perdre pied : une mise en minorité par le jeu d’alliances, l’émergence d’un nouveau leadership, ou simplement la volonté populaire pour l’alternance etc. Le deuxième tour est le cauchemar des présidents sortant africains tant il renferme une trop grande part d’incertitude. Une situation insupportable pour des gens habitués au contrôle. Il n’est guère question ici de ces cas très particuliers que sont le Rwandais Kagamé et Blaise Compaoré du Burkina-Faso. Eux savent s’assurer, qu’importe le nombre de scrutins, des scores frisant la totalité des vois exprimées. Un fait qui n’a gêné personne dans les chancelleries occidentales. Le monde entier a du s’incliner face à une telle vénération populaire…

Le défunt maréchal Mobutu aura manifestement fait des émules. On n’avait cru à tort qu’il avait emporté dans la tombe le secret de ce genre de virtuosité. Mais voici que le jeune président du pays qu’il aima peu de dire que lui l’aime assez pour lui éviter les dérives de la division. L’élection présidentielle de 2011 dans la RDC sera à un seul tour ou…rien, puisque l’amendement constitutionnel a été voté et entériné par toutes les chambres législatives. S’il faut considérer les aspirations du peuple il est évident qu’un tour du scrutin prive ceux des électeurs qui votèrent au premier tour la possibilité de changer d’avis ; de même pour les indécis de… se décider enfin, puisque la donne aura également changée. Entre deux ou trois candidats on y voit plus clair que face à une douzaine. Qu’à cela ne tienne : après la commotion, l’opposition congolaise semble reprendre ses esprits. Elle promet d’ores et déjà qu’elle présentera un candidat unique face à Joseph Kabila. Pour ce faire il va falloir, fait-on croire, harmoniser les ambitions des uns et des autres. C’est une gageure, l’inédit, l’impensable. Ce sera cela le tour de passe-passe de la culture politique en Afrique subsaharienne. Cependant on perdrait surement moins à gager que le modèle togolo-congolais fera école en Afrique. EMERY UHINDU-GINGALA GINGANJ
Cet article est disponible sur http://www.afiqueactu.com/